16.10.12

1130- "L'esprit argentique"


"Laisse-moi goûter la pomme de terre parce que j'ai des doutes"
Je suis assez pessimiste à propos de l'avenir du film argentique. Vu la situation avec Kodak, il est difficile d'imaginer que les choses vont s'arranger. La bonne nouvelle étant que la marque n'a pas pour plan d'arrêter de produire ces émulsions, mais qu'elle recherche toujours un acheteur pour reprendre son département film. Comme beaucoup, je pense que le nom de l'heureux élu aura peu d'incidence sur la vente des pellicules de la marque rouge et jaune. Par contre, on imagine que dans une génération, il ne sera plus évident de payer 10 euros pour avoir 36 images. Je vous épargne le petit paragraphe de la comparaison argentique/numérique, le sujet ayant été déjà trop traité dans la presse et un peu partout. Aujourd'hui encore, il n'est pas rare pour moi de débattre dessus. Comme pour la petite guerre PC/MAC, celui de l'argentique/numérique est un débat sans fin.
Mais en ce moment, on remarque le développement de ce que j'appelle "l'esprit argentique", c'est ce petit quelque chose qui faisait le charme de cette technique que l'on regrettait et que l'on commence à retrouver dans le monde numérique. Il y a quelques années, on appréciait le rendu bien spécifique du film qui nous rappelait directement les vieilles images de nos vieux albums de famille que l'on feuilletaient une fois tous les ans lors des fêtes de famille. Aujourd'hui, ce rendu est transposé en numérique sous forme de filtres inclus dans des logiciels de retouches d'image ou  dans des applications dédiés (type Instagram / Hipstamatic). En quelques secondes, on peut transformer un cliché pris à l'instant en une autre image avec un résultat très proches des anciennes images qui appartiennent à l'époque de nos grands-parents. Ce rendu plaît énormément et apporte ce semblant de charme qui renvoie directement à la définition du "beau" approuvée par la masse. Et beaucoup utilise le rendu du noir et blanc en numérique non plus par contrainte technique, mais par esthétisme. Ce mode de représentation a été accepté comme alternative évidente de la couleur et valable pour entamer un concept, un discour. Là encore, cela se réfère directement aux images intemporelles qui ont nourris l'histoire de la photo attachées aux grands noms de photographes français.

Ce qui est intéressant de voir, c'est que l'esprit argentique s'étend depuis quelques années à la machine photographique lui-même. Avant on pouvait critiquer le fait que la démocratisation de la photo par le numérique à amener l'industrie à concevoir à la chaîne des boitiers sans charme avec des matières beaucoup moins nobles. Pour moi, mon vieux Pentax MX en métal est beaucoup plus beau que mon Canon 5D Mark II. Mais ne comparons pas l'incomprable comme diront certains. Beaucoup sont encore en adoration pour les vieux télémétriques Leica, les vieux Rollei à viseur poitrine ou les bons bonnes vieilles chambres grand-format. Oui, j'en fait parti et j'assume. Aujourd'hui, on remarque une tendance où les grands constructeurs reprennent de vieilles références de l'argentique vieilles de plus de 40 ans et les remettent au goût du jour. Je pense au Olympus OM-D et à sa série PEN, aux nouveaux boitiers FUJI X. Un soin est aussi apporté au capteur intégré en plus de la construction. Ces nouveaux produits destinés aux nostalgiques fortunés sont placés dans la gamme de luxe du marché: le coût d'une certaine noblesse n'est pas accessible à toutes les bourses. Aujourd'hui, ces nouveaux appareils photo se vendent très bien, preuve qu'il y a une réelle demande pour ces bijoux de design et de technologie. C'est le culte du bel objet que l'on pouvait observer il y a une époque qui fait son grand retour.

Cet esprit argentique est poussé jusqu'à son paroxisme avec Leica qui a sorti il y a quelques mois, le Leica M9 Monochome. Comme son nom l'indique, il ne prend que des photos en noir et blanc. Pouvant être considéré comme une grande plaisanterie ou une preuve indéniable de snobisme venant d'une marque dépassée par l'avènement du numérique, Leica a frappé fort. Il évident que seul ceux qui peuvent débourser plus de 7500$ pourront comprendre cette philosophie. Inspiré par cette innovation, RED, spécialiste dans les caméras très haute résolution a aussi sorti une caméra monochrome. Le temps nous le dira si les deux marques ont fait un investissement rentable ou non. Peut-être que le succès de The Artist aura fait des émules dans le milieu du cinéma pour les films muets...

Aujourd'hui, pour les nostalgiques d'un temps presque révolu, les "bonnes raisons" pour lesquelles beaucoup sont résolus à ne pas lâcher leur Tri-X ou leur Portra s'estompe peu à peu, sachant que le marché du numérique est capable de proposer aux amoureux de beaux objets et beaucoup de logiciels sont capables de reproduire le rendu de leurs films préférés. Pour moi, le prix du développement et du tirage m'a vite dissuadé depuis longtemps de continuer à sortir mon vieux Pentax MX. Pour vous donner une idée, la Kodak Portra se vend vers les 7€ l'unité. Les images ratés et les pellicules qui ne se cale pas parfaitement se paie très cher. Il faudra avoir les moyens pour se permettre d'avoir la fierté de se balader avec un vieux boitier sous le bras et avoir la patience de continuellement se justifier du choix du film. C'est encore la classe de voir une personne se balader avec un vieux Rollei autour du cou mais cela deviendra de plus en plus absurde et une marque d'arrogance. On connaît tous la définition du profil "Hipster". Mais après, je comprends tout à fait le fait de prendre de faire des images différentes et différemment, c'est pour cette raison que je continue parfois à emporter mon vieux Pentax.

Pour moi, la raison la plus respectable de pratiquer l'argentique est de pouvoir maîtriser toute la chaîne manuellement: le développement dans une chambre noire et le tirage sous la lumière rouge inactinite. C'est le réel plaisir de mettre la mains dans les produits et les bacs et voir apparaître doucement son image dans le révélateur avec l'odeur du vinaigre plein le nez. Un réel plaisir je vous dis!

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